L'autre fois j'entrais dans mon bus, comme tous les matins, et je me suis automatiquement dirigé vers une place assise, chose qui est peu courante à mon arrêt. En m'asseyant à cette place, je voyais tous les gens derrière chercher désespérément après un lieu pour s'asseoir. Quand tout à coup, un homme s'est placé à un endroit des plus stratégiques pour sauter sur la première place qui se libérerait, c'est alors que je me suis posé la question : Pourquoi tient-il absolument à s'asseoir pour faire son trajet ?
En dehors de la question du confort et de l'idée agréable de finir sa nuit dans ce bus qui passe décidément trop tôt (putain), je pense qu'il y a moult raisons pour trouver une place assise. Tout d'abord, je pense que le fait de prendre le bus pour un homme qui part au travail est déjà assez chiant pour lui. Alors si en plus il doit se faire à l'idée qu'il est moins bon que d'autres, son moral est carrément ruiné ! Je m'explique : L'homme en question arrive dans un bus, il voit des gens assis, des gens qui ont pu trouver une place dans cette mini société, des gens qui ont donc quelque chose en plus que l'homme debout : Soit ils sont plus charismatiques, on a su leur donner une place. Soit ils sont plus intimidants, même chose. Soit plus intelligents, ils ont su se glisser dans les interstices de cette fourmilière pour trouver un point d'appui. Soit ils se sont simplement levés plus tôt et/ou ont un habitat plus stratégique que l'homme qui reste debout (le mec ne pouvant avoir une influence sur ce facteur, il est d'autant plus frustré). Cet individu qui se fait avoir par les normes minimales pour avoir une place assise est donc mentalement persécuté de toute part et ne pas s'asseoir relève alors de la faiblesse.
Le fait que l'homme prenne les transports en commun lui fait alors prendre conscience une deuxième chose, une deuxième frustration dans sa vie d'adulte : Il n'a pas l'argent nécessaire pour aller au travail en voiture. En effet, si il va au taff en bus, il n'a soit pas assez d'argent pour une voiture, soit il ne peut pas se permettre de brûler de l'essence en se tapant 60 bornes tous les jours (et ne me sortez pas l'excuse de l'économie vu que ceux qui ont assez d'argent n'ont pas besoin d'économie, vous suivez ?). Un autre cas voudrait dire que c'est Madame qui a la voiture pendant que Monsieur prend le bus, mais c'est une frustration également importante. En résumé, le problème d'argent (qui mène notre société, yo) est un problème pour cet homme qui prend le bus, alors quitte à s'emmerder, autant s'asseoir.
Enfin, le fait que cet homme doive s'abaisser aux normes de la routine quotidienne (métro-boulot-dodo) le transforme en homme bas, en homme faible, selon ses pensées les plus sombres. Donc, il considère le fait de se lever tôt pour aller au travail comme un fardeau dans sa vie d'adulte responsable. Il a besoin de calmer ce sentiment d'infériorité (car il se soumet au système, yo) en s'asseyant là où les suivants restent debout. Il a besoin d'avoir l'impression qu'il règne sur quelque chose, qu'il est plus puissant que d'autres (cf §2). C'est un fait évident, on se sent tous plus fort quand on est assis et que d'autres sont debout.
Ce condensé de déception, de frustration pour l'homme qui prend les transports en commun le transforme en animal, en bête rusée. Il va être attentif à la moindre personne qui bouge pour pouvoir prendre sa place. Au moindre bruit de sac, il va s'élever tel un suricate et bondir à travers foule pour avoir cette fameuse place assise qu'il convoite tant, symbole de toute puissance et de confort, tant dans le bus que dans sa vie.
L'homme se base sur des illusions pour fuir sa médiocrité mais en fin de compte chacun sait ce qu'il vaut. Les gens debout comme les gens qui ne s'en sortent pas, ils envient les gens assis mais l'acceptent, tout en tentant de fuir leur galère. Puis le bus arrive à terme.
Voilà, à la prochaine pour une nouvelle Pensée Abstraite !